La co-existence de ces deux compagnies d’élite au sein de l’Etat, l’une dévolue au Roi et l’autre à son ministre, ne s’est pas faite sans heurt et c’est bien la raison pour laquelle Alexandre Dumas a pu user de leurs rivalités comme un des éléments essentiels de son roman. Il faut encore rappeler que les « Mousquetaires du Roi », tous à cheval et gentilshommes les plus qualifiés, n'avaient aucune raison de rivaliser - et ne se seraient certainement pas commis - avec les mousquetaires du Cardinal, modestes fantassins recrutés dans la plèbe errante des militaires de profession du temps. Comme on peut le voir dans la composition de la compagnie des Gardes de Richelieu, celle-ci comprenait : De l’autre côté, celui du Roi, on présente la Compagnie dans un Etat de la France dressé en 1642 comme : "La compagnie des mousquetons du Roi ; Elle a pour capitaine le Roi, et pour lieutenant M. de Tréville, et pour soldats des enfants des meilleures familles de France, portant une casaque bleue et distinguée par des croix d'argent. Ils sont 150, qui suivent le Roy partout, même quand il va à la chasse." La rivalité a été entre les Mousquetaires cavaliers du Roi, tous gentilshommes, et les Gardes à cheval de Richelieu, également tous gentilshommes. Le recrutement dans ces deux corps d’élite différait. Richelieu veut qu'on lui soit présenté par quelqu'un de connu et de sûr, qu'on ait plus de vingt-cinq ans et autant que possible qu'on ait servi trois ans aux armées, condition qui n'est pas exigée s'il s'agit d'un gentilhomme de très bonne maison. L’autre immense différence entre les deux compagnies était la solde. Richelieu entretient ses Gardes à ses frais et ne semble pas compter à la dépense. En face, les Mousquetaires du Roi ne sont pas aussi bien traités. « Dans la maison de Richelieu, les soldes sont réglées très exactement. Comme il est loin d'en être de même dans le reste de l'armée du Roi, par suite des perpétuelles difficultés d'argent de l'Etat, et que l'on y attend souvent longtemps pour être payé, voire même parfois, ne reçoit-on rien du tout, les pamphlétaires ennemis de Richelieu ont eu beau jeu pour attaquer à cet égard le Cardinal. » Louis Batifol Richelieu est très exigeant envers la tenue de ses Gardes qu’ils souhaitent même ériger en modèle pour les autres corps de l’armée. « L'habit ordinaire que les gens portent sous Louis XIII se compose essentiellement d'un pourpoint, sorte de veste ajustée et fermée allant du cou à la ceinture, au-dessous de laquelle elle peut se prolonger par des basques plus ou moins longues; puis de hauts-de-chausses, culottes amples, descendant jusques au-dessous des genoux. Il faut ajouter les bottes et, sur la tête, un feutre ou castor à larges bords orné d'un panache. Ce qui fait reconnaître de loin les Gardes de Richelieu, c'est que leur casaque est rouge et que, bordée de galon blanc, elle porte sur chacune des quatre pièces, au milieu, une croix grecque également en galon blanc très voyante. On devine, avec le grand feutre à panache blanc et les bottes, l'aspect brillant que peut présenter le défilé de la compagnie à cheval de Son Eminence. En revanche, les Mousquetaires du Roi devaient s’acheter leur uniforme avec leur solde qui était bien plus maigre que celle des Gardes. Enfin, les Mousquetaires reprochent aux Gardes d’être davantage des soldats de représentation ou d’antichambre que de champs de bataille, alors qu’eux se retrouvent sur tous les fronts, aux combats à côté du Roi. " Les Capitaines et les soldats du Roi (qui font durement la guerre dans les tranchées) dit l'un d'eux, sont au désespoir de se voir réduits à l'aumône, lorsque les Gardes (du cardinal) qui sont toujours à l'ombre d'une salle, reçoivent de bonnes monstres (la solde) et bien réglées, pour être en faction à la porte d'une chambre" (dans la très humble, très véritable et très importante Remontrance au Roy, 1631, dans M. de Morgues, Diverses pièces pour la défense de la Reine mère, 1636) La rivalité entre les deux compagnies les poussait donc à se provoquer facilement et en venir à des duels, fréquents bien qu’interdits, pour lesquels ni le Roi, ni le Cardinal, n’aient cherché à intervenir, trop heureux de voir leurs corps d’élite s’affronter et donc se mesurer. « La Compagnie des Mousquetaires était très belle et le Cardinal de Richelieu avait une Compagnie de Gardes composée aussi de très braves gens qu’il avait choisis lui-même. « Les deux troupes faisaient assaut de réputation entre elles et ne cessaient d’en découdre pour prouver qu’elles se piquaient à juste titre d’avoir des gens dont le courage l’emportait sur tous les autres. Si les Gardes venaient à croiser des Mousquetaires au hasard d’une flânerie, ils convenaient aussitôt du lieu de la rencontre et se mettaient, au besoin, en quête de compagnons disponibles afin que chacun ait un partenaire ! Chaque jour le Cardinal vantait la bravoure de ses Gardes et le Roi essayait de les rabaisser en invoquant les exploits de ses Gascons. » Arnaud Jacomet Ces escarmouches entrent les deux troupes sont également nourries par la haine que se portent les deux hommes qui les dirigent au plus près. Richelieu d’un côté et Tréville de l’autre qui, en tant que Lieutenant Capitaine, est le commandant des Mousquetaires. Le caractère indomptable et impétueux de Tréville, sa bravoure et son dévouement sans borne au Roi, en font un personnage difficile à asservir. De plus, ses Mousquetaires lui sont fidèles et, malgré la réputation des Gardes, plus renommés que ces derniers. Et Tréville est tolérant envers ses jeunes soldats qu’ils ne réprimandent pas malgré leurs fréquentes incartades. |