C’est tout d’abord par le biais d’un document assez exceptionnel – Le Registre du bureau de bienfaisance – qu’il nous est possible de découvrir le visage de Lupiac dans ce milieu du XIXe siècle. C’est aussi et surtout grâce à Aimé Duffour aidé de Josette Ribeiro qui nous donnent ensemble les clefs pour pouvoir lire et décrypter ce curieux et intéressant ouvrage. (voir le règlement de ce bureau dans la bibliothèque en ligne).
Ce Registre est ouvert le 1er octobre 1852 et il sert à constater les recettes et les dépenses envers les pauvres et les nécessiteux. Il est tenu par un Comité de quatre personnes, qui sont respectivement le Maire, le Curé et deux notables du village, propriétaires terriens.
On peut s’interroger aujourd’hui sur le terme même de « Bureau de bienfaisance » et sur son rôle.
En fait, il faut rappeler que la préoccupation sociale remonte à la première révolution de 1789. Celle-ci propose un vaste projet de réorganisation de « l’assistance » qui doit devenir une obligation d’état, mais qui doit être gérée sur le plan local. La grande nouveauté des propositions faites sur ce sujet tient dans le caractère préventif de cette assistance qui ne se veut pas seulement réparatrice. " L’octroi de subsides devait avoir pour contrepartie un effort de prévoyance des bénéficiaires et une surveillance médicale pour ceux ayant besoin de soins ».
Pour les Révolutionnaires, la société et l’Etat avaient un devoir d’assistance envers les indigents « dignes de pitié ». Voici comment ils le présentaient :
« Toutes les fois que la société met un de ses membres en état de se passer de son concours, elle l’enrichit et, de ceux qu’elle ne donne pas et de ceux plus complets qu’elle peut aussi accorder aux malheureux sans moyens, elle profite plus encore. Elle se fortifie de l’espèce d’énergie que l’homme indépendant porte avec lui, et qu’il est si rare, si difficile, nous dirions même si peu possible, de trouver dans celui dont l’existence est toujours troublée par l’inquiétude et le besoin. »
C’est ainsi que la loi du 19 mars 1793 posait le principe de l’assistance aux pauvres par l’Etat sur ses fonds ; en ce qui concerne l’administration et la distribution de ces fonds, il avait été proposé qu’ils soient répartis par l’Assemblée Nationale entre les départements, par ceux-ci entre les districts, par les districts entre les municipalités. A chaque niveau devait être constitué un comité de quatre citoyens pour surveiller la distribution.
C’est assez scrupuleusement dans cet esprit que travaille le Bureau de Bienfaisance de Lupiac, comme on peut le constater à sa lecture.
On y relève tout d’abord les fonds que verse le percepteur régulièrement (400 francs par trimestre) et qui correspondent bien à ces subsides de l’Etat destinés à l’assistance de personnes dans le besoin.
Par ailleurs, on peut noter que le Comité gérait ce bureau avec un ordonnateur (chef-comptable) qui changeait à intervalles réguliers, tout comme changeait la composition même du Comité. Le Maire et le Curé y étaient toujours présents, mais les deux autres notables pouvaient être différents d’une année sur l’autre.
Toutes les dépenses y étaient inscrites avec précision quant à leur nature et à leur destinataire.
Ce sont justement les détails de ces notes qui permettent de découvrir la vie et la population de Lupiac, d’octobre 1852 jusqu’à la première guerre mondiale.
Le rôle du bureau de bienfaisance est de veiller à pourvoir les pauvres des biens de première nécessité . La lecture, ligne par ligne, du registre permet de noter combien les dépenses étaient ciblées et octroyées en fonction des besoins de chacun. On y trouve trois sortes de dépenses principales. Celles liées aux soins des malades, qu’il s’agisse de ceux soignés à l’hospice ou encore des individus nécessitant des soins particuliers (visite du docteur, bandage, sangsues, médicaments). Celles liés à « l’assistance » permettant de soulager certains habitants des frais de loyer, mais aussi de leur acheter du bois de chauffage, de la graisse ou de la viande le cas échéant. Et celles liées aux enterrements des pauvres. Ces dernières dépenses comprennent d’ailleurs tous les frais inhérents aux obsèques, allant du veilleur, à la personne qui habillait le mort, au carillonneur, aux porteurs, et aux luminaires (bougies, etc..).
Mais, le bureau paye aussi la scolarité d’un enfant pauvre ou ses fournitures scolaires (l’école était alors payante), le transport exceptionnel pour l’hôpital à Auch, l’aide à des personnes en maison de correction. Il entretient les bâtiments publics qu’il s’agisse de l’école, de la chapelle ou de l’hospice et règle tous les travaux s’y référant.
La prise en considération des nécessiteux revêtait un assez large spectre de personnes. Il y avait les pauvres et les malades de la commune, mais également les mendiants, les « passants misérables », les enfants abandonnés, etc. Le Comité se chargeait alors de secourir ces individus de passage, de les alimenter, de régler leur problème ou de les enterrer le cas échéant.
Le rôle du bureau de bienfaisance pouvait aussi être celui de pourvoyeur d’emplois. C’est ainsi qu’en 1854, un atelier de charité est créé sur Lupiac destiné à mettre en place des travaux d’entretien pour employer les « pauvres honteux ». Cet atelier se consacre à la restauration des anciens fossés et du chemin de ronde.
Au travers de ces dépenses, on peut également découvrir les habitants et l’activité du village.
Il y avait ainsi :
- Les notables, dont les signatures se succèdent en fin de rapport de chaque année comptable écoulée. Il s’agit du maire, des deux notaires (MM Matignon et Broqua), des propriétaires des principaux châteaux, notamment celui de Lacoste, de Lasserre, de Castelmore, de Laplagne. (Les terres étaient alors réparties entre les mains de propriétaires, de fermiers et de métayers. S’y ajoutaient les ouvriers agricoles et les saisonniers que l’on recrutait les jours de foire.)
- Le curé. Il est intéressant de constater que les curés ne restaient pas longtemps à Lupiac ; on en dénombre près de sept sur une soixantaine d’années. De fait, la cure de Lupiac était réputée difficile et on y mettait souvent des curés en fin de carrière, issus de grandes familles et avec de l’expérience. Aux côtés du Conseil Municipal, on trouvait un « Conseil de fabrique » qui correspondait à une autre forme de conseil municipal dépendant du clergé. Celui-ci avait été rétabli à la Restauration et perdurera jusqu’à la seconde guerre mondiale. Il régissait la catholicité et la gestion des églises. L’église actuelle de Lupiac venait d’ailleurs d’être récemment achevée puisque sa construction date de 1849.
- Les « services de santé » Lupiac possédait à l’époque un hospice géré par des sœurs hospitalières dont la Supérieure se nommait Sœur Agnès. Il devait comprendre un 6 à 8 sœurs, au regard de l’activité qui y était déployée. Cet hospice s’occupait de personnes malades mais également des pauvres. Le comité donnait aux sœurs les moyens de faire la soupe pour tous leurs pensionnaires et aussi ceux de les soigner. Pour les soins, deux médecins (ou officiers de santé) sont régulièrement sollicités, qu’on payait par abonnements, dont un des deux était spécifiquement le médecin des pauvres. L’activité pharmaceutique était importante car deux pharmaciens étaient nécessaires à la commune, MM Faget et Broqua, installés face à face. Ils étaient alors préparateurs et fabriquaient les remèdes eux-mêmes.
- Les lieux d’instruction. Il y avait alors deux écoles. Une pour les garçons et une pour les filles. Concernant cette dernière, c’était une nouveauté car la loi Parrieu venait à peine d’être promulguée, en janvier 1850. Cette loi imposait à toutes les communes de plus de 800 habitants d’ouvrir une école de filles. Les instituteurs de l’enseignement public étaient nommés par le conseil municipal et soumis au contrôle au moins indirect du curé. Le bureau de bienfaisance payait d’ailleurs le salaire de l’institutrice.
- Les commerçants. Ils étaient fort nombreux comparativement à aujourd’hui et à la population. Cela s’explique par le fait qu’on se ravitaillait essentiellement sur place. Le « courrier » régulier qui reliait Lupiac à Vic, Lupiac à Plaisance, Lupiac à Aignan et Lupiac à Auch ne passait que deux ou trois fois par semaine. Il existait cependant trois transporteurs privés sur Lupiac, (MM Boutan, Bergès et Lazies) mais son usage était réservé à des déplacements exceptionnels et non au ravitaillement.
De ce fait, on pouvait trouver au village :
- Au moins quatre boulangers, MM Dupuy, Dubarry, Sorbets et Lapeyrere qui sont régulièrement nommés et que le Bureau veillait à faire travailler à tour de rôle.
- Deux bouchers, MM Darroux et Bonneau.
- 1 bazar tenu par M. Bugat,
- 1 négociant, M. Lafargue,
- 1 épicier-quincailler, M. Poitevin,
- 2 tailleurs d’habits, M. Bidouil, M. Rencontre,
- 1 barbier, M. Lartigue qui était également « chirurgien » c’est-à-dire infirmier,
- 1 aubergiste, M. Escousse.
- Trois cafés (dont un qui possédait un petit tripot à l’étage…)
Il est difficile de connaître avec précision l’ensemble des commerces et des articles vendus car il est bien évident que les dépenses enregistrées par le bureau de bienfaisance se limitent aux biens de première nécessité : graisse, pain, viande, bougies et huile pour les lampes. On trouve la trace d’un cahier pour un élève, acheté au bazar, mais peu d’autres marchandises sont évoquées.
- Les artisans. C’est par le biais des différents travaux réglés par le comité sur les bâtiments publics (école, hospice, chapelle, etc..) qu’on découvre l’activité artisanale du village avec :
- Plusieurs charpentiers, menuisiers qui sont aussi marchands de bois.
- 3 maréchaux-ferrants, M. Dupuy,M. Boutan et M. Laffont
- 1 tourneur, M. Labric,
- 2 maçons, M. Chauvin, M. Bugat,
- 3 charpentiers, M. Basso, M. Fourquet, M. Lescure
- 1 forgeron, M. Dubos,
- 3 tonneliers, M Pérès, M. Renaud, M. Laffargue
- 1 charron qui faisait les charrettes à traction animale et les véhicules légers tirés par des chevaux ou des mulets à 2 ou 4 roues.
- 1 tailleur de pierre, M. Despeyroux (Deux carrières devaient alors exister sur la commune ainsi qu’au moins trois tuileries, ainsi que des fabriquants de chaux)
- Plusieurs meuniers, dont M. Abeille
- 2 menuisiers, M. Bonau, M. Garros
- 1 tapissier, M. Baron,
- 2 cordonniers, M. Baude, M. Labex
- 3 tisserands, M. Bergès, M. Dumont, M. Tursan
- 1 poëlier, M. Jeancoux qui était tout à la fois horloger et armurier et dont de nombreux lupiacois possèdent encore une horloge de sa fabrication.
- 1 serrurier, M. Remignon
Il est également intéressant de constater que le Comité payait « les eaux » à certaines personnes, dont le curé et le limonadier par exemple, qui allaient, semble-t-il, à Barèges. La mode des eaux thermales était alors à son apogée.
La liste des commerçants et celle des artisans a été complétée par un autre registre en possession de Josette Aurensan, sur la Société de Secours Mutuel, qui permet de conforter les informations déjà recueillies par le registre du bureau de bienfaisance. |